samedi 4 avril 2015

Yiwu, Futian Market / Le Système des objets

SI un commerçant égyptien veut approvisionner en chaussettes ses 15 magasins du grand Caire, il y a de grandes chances qu’il passe par Yiwu.
SI le ministère de l’équipement du Togo veut se fournir en panneaux solaires, c’est sans doute à Yiwu que l’affaire sera négociée.
SI un grossiste hongrois en équipements de cuisines ou la centrale d’achat d’une grande enseigne de distribution est à la recherche de luminaires, de guirlandes de noël, de bijoux fantaisies ou d’articles de bureaux… c’est sans doute à Yiwu que la transaction sera conclue.
Enfin, de nombreux objets présents chez vous ou l’intégralité du stock des marchands/droguistes chinois de la rue de Ménilmontant (il y en a 4 dans la rue) provient du marché de gros de Yiwu.

Cette ville moyenne du Zhejiang (1,2 millions d’habitants), à 1h30 de train rapide (300 km) de Shanghai a en effet acquis une position particulière au cours des dix dernières années.
Ce carrefour naturel (voie d’eaux, trains), doté d’une solide tradition commerçante, est en effet devenu, sous l’impulsion d’investissements publics massifs, une plate-forme mondiale majeure du commerce des petits objets (« commodities » en anglais).
Si la Chine est encore aujourd’hui l’usine du monde, Yiwu en est le bureau d’exposition et le centre de vente.
Cette ville (qui dépend administrativement de Jinhua mais qui la dépasse nettement en notoriété internationale) accueille ainsi le plus important marché de gros de la Chine

L’histoire longue correspond ainsi à un centre marchand où étaient échangées les aiguilles et autres porcelaines dès le 17e siècle. Les marchands de Yiwu étaient célèbres pour leur activité. Pendant les périodes où l’agriculture ralentissait, ils parcouraient les villages échangeant de petits objets et des morceaux de sucres aux fermiers des villages contre une denrée rare élevée au niveau d’une monnaie d’échange : la plume de poulet. Celle-ci constituait une matière première d’importance : fertilisant efficace, elle leur permettait également de confectionner de nombreux objets quotidiens.
Fabrication, collecte, distribution, leur nombre ne cessa d’augmenter.
Frappé d’anathème à partir de 1948, l’activité marchande se poursuit sous le manteau.
A partir de 1980, à la suite des réformes introduites par Deng Xiaoping, les marchands sortent de l’ombre. Il est rapidement clair pour les autorités locales que ceux-ci possèdent un niveau de vie supérieur aux simples paysans et celles-ci décident d’encourager cette activité « historique ».

Le premier marché centralisé est mis en place dès 1982 près de la rue Huqingmen. A l’époque le marché compte 700 places. Aujourd’hui il y en a plus de 70.000 dans différents lieux de la ville qui est reliée par train rapide à Shanghai et Canton et possède son aéroport international.
Plus de 60% des décorations de Noël seraient achetées (en gros) à Yiwu tous les ans.

A Yiwu, il existe plusieurs marchés mais quand on guide le visiteur étranger on l’oriente systématique sur « LE » marché de Futian : The International Trade Mart, le plus gros ensemble de la ville.
Celui-ci défie l’entendement. Le modèle qui a été choisi est en effet celui de la concentration. Tout a été pensé pour que l’acheteur en gros pressé puisse trouver n’importe quel fabricant de n’importe quel objet ou de n’importe qu’elle référence… dans un seul bâtiment.
Matériellement, il s’agit donc d’un complexe de 4 millions de m² (il n’y a pas d’erreur sur le chiffre) – soit plus de 10 fois la surface de l’usine Boeing d’Everett dans la périphérie de Seattle – qui présente sur quatre niveaux et 5 unités les 400.000 références (parmi 2.000 types d’objets) de près de 100.000 industriels ou fournisseurs répartis dans les 62.000 stands.
L’ensemble est ouvert de 9h à 17 h toute l’année et le monde entier s’y presse quotidiennement. Tourné à 65% vers l’exportation, le marché est en relation avec 215 pays différents.

C’est le principe de la concentration et sa matérialisation architecturale et infrastructurelle qui est ici impressionnant.

Ce « bâtiment » est en fait constitué de 5 entités (5 districts numérotés) construits les uns après les autres entre 2002 et 2012. Ils sont reliés à tous les niveaux par des passerelles et des ponts routes. Si le bâtiment n’est pas un bâtiment de stockage (chacun des fabricants qui expose ses produits ici possède son ou ses usines ainsi que ses propres lieux de stockage) chaque entité peut cependant être livré à niveau. Il s'agit d'un très grand ensemble technique : un complexe infra-architectural unique.
(Quel les parisiens imaginent 10 entrepôts Ney reliés entre eux).

La somme des références est étourdissantes et le systématisme du « rangement » à grande échelle est ici implacable.
Plusieurs plans permettent au visiteur de s’orienter : par district d’abord (de 1 à 5) puis par niveau (de 1 à 4), puis par allée numérotée (à la façon de rues intérieures) puis par numéro de boutique.
Les fabricants sont répartis par types : ici les fabricants de jouets, là ceux de joues électroniques, là les fleurs en plastique, là les lunettes, là le matériel de cuisine, là la papeterie, là les bijous, là les chaussettes, là les horloges, là les éclairages, là les boutons…. La liste paraît sans fin et l’imagination n’est pas toujours assez grande pour circonscrire le périmètre de ce qui est échangeable ici.
Voici un stand d’une entreprise qui produit des moules de cuisine en silicone. Ici tout est en démo et l’on commande par lot de 100 ou de 1000 minimum selon les modèles. Il y a toutes les couleurs et toutes les formes imaginables et adaptées à tous les marchés.
Voici un fabricant de stylo, il a toutes les couleurs et tous les types et vend par portion de containers.
Voici un fabricant de chaussettes, son catalogue et ses matériaux sont infinis et il propose n’importe quel assortiment de couleurs et de tailles.
Partout les délais sont courts, les prix sont faibles et les lots sont grands.

Il est difficile d’imaginer une telle concentration d’objets et de pouvoir parcourir une telle diversité en l’espace de quelques heures.
Les objets de la vie de tout les jours forment ici un véritable système, à la fois carcéral (et si tous ces objets nous possédaient tout autant que nous les possédons ?) et terriblement jouissif dans leur capacité à raconter autant de "Mythologies" particulières...
Ici et là quelques cas de contrefaçon mais de façon presque anecdotique. La qualité des produits est variable mais ‘on sent que dans tous les domaines les standards s’améliorent.
Les fabricants chinois savent tout faire et à n’importe quel prix : à l’acheteur de comprendre et de s’adapter à ce qu’il veut vraiment acheter.












Aucun commentaire: