lundi 29 juin 2009

Chuanyang River 3 – Le plus bel espace public de Shanghai

Rappel des épisodes précédents : nous avons entrepris la semaine dernière de parcourir un canal de 28 km de long, la Chuanyang River, qui à la manière d’une coupe révèle la constitution du tissu urbain de la partie est de Shanghai, côté Pudong donci. Après la section centrale sectorisée, le bord de mer en jachère, voici la "confluence" : point de contact de la rivière avec le Huangpu, au Sud du futur site de l’Exposition Universelle Shanghai 2010.

Installations industrielles vieillissantes, quartiers de logements de masse des années 80, jachères lunaires, chantiers de viabilisations : le site est au diapason des mutations en cours à l’extérieur du premier périphérique et le long du fleuve. C’est l’extension du centre qui est en cours.

A l’embouchure même, l’eau est invisible. Un practice de golf surnage au milieu d’un immense chantier boueux ; ici, il n’y a pas de site. Un peu plus loin, une écluse se cache sous un pont autoroutier, et après avoir longé l’eau sur l’escarpement du canal, enjambé une barrière, puis une autre, nous arrivons sur... un espace public.
Un parc linéaire, une pelouse accessible et un chemin engageant, des logements regardant la rivière : ce qui ailleurs serait banal devient ici et maintenant complètement exceptionnel.
Dans l’euphorie du moment, nous apercevons même un... nageur. Un homme remonte le courant, à la brasse, puis en crawl, puis fait des ronds dans l’eau à quelques encablures des péniches.
De vieux monsieur sérieux jouent sérieusement au cerf-volant, le chemin se termine dans une forêt de pins miniatures.
Nous baptisons d’autorité cet espace le plus bel espace public de Shanghai et fuyons effrayés ce lieu de perdition.



dimanche 28 juin 2009

Fuxing Island : l’île Seguin de Shanghai

L’île de Fuxing se situe au nord de Shanghai, dans le district des docks de Yangpu. Souvenirs de la concession internationale, le secteur est constitué d’un tissu industriel ancien de la ville en continuité avec le reste de la ville. Des ateliers et de petites usines végètent doucement au bord du fleuve. Réflexe pavlovien d’urbaniste européen : voici des secteurs mutables, envisageons leur réaménagement.
D’aucun nous ont même confié que la ville de Shanghai entendait se recentrer sur son pôle financier et sur des industries propres et high-techs (automobile, aéronautique et chantiers navals).
Avec son grand parc intérieur (enfin de grands arbres, une rareté ici), sa grande avenue centrale, ses ponts patrimoniaux (construits en 1927 par le "Whangpoo Conservancy Board"), imaginons un instant un autre avenir pour l’île.
Si l’île de Fuxing devient une île Seguin, qui va limer la tôle ?


vendredi 26 juin 2009

700 millions de paysans chinois ! Et moi, et moi et moi…



Rencontre de Guy Wiener, directeur et fondateur de la société Shanghai Organics, producteur de fruits et légumes bio dans la périphérie de Shanghai et fournisseur des magasins Carrefour dans l’agglomération.
Guy Wiener est jeune, allemand et anglophone. Il nous reçoit dans ses bureaux, quelques pièces simples au rez-de-chaussée d’une tour d’habitation anonyme.
Après des études de droit à Francfort, c’est à Shanghai au contact de la famille de sa femme chinoise, qu’il envisage de se consacrer à l’agriculture bio. Au milieu des années 90, des inquiétudes alimentaires émergent parmi la classe moyenne supérieure qu’il fréquente. Pas de traçabilité, labellisations frauduleuses, scandales à répétition et les des libertés prises avec la santé publique dans un marché en plein boom. L’enrichissement d’une part importante des populations urbaines engage en effet une diversification de l’alimentation : protéines animales et végétaux frais en quantité plus importante dans un pays où la consommation de légumes à toujours été importante. En occident, le taux de croissance du bio est de l’ordre de 20 à 30% et Guy Wiener pense que dans ce domaine, comme elle le fait dans tous les autres, la Chine va entrer dans le mouvement.

« Il y a quinze ans, toute la zone de Pudong était occupée par des agriculteurs ». La croissance exponentielle de la ville a entamé un déplacement progressif de plusieurs exploitations rattrapée par l’agglomération. Ainsi la société American Garden, expulsée de Pudong pour Qibao puis vers Songjiang.
Shanghai Organics fondée en 1998 et installée à Xinqiao fut de même expulsée en 2005 et s’installe à Songjiang à 30 km du centre (soit une translation de 15km).
L’opération fut intéressante financièrement car le prix du terrain loué à long terme était inférieur au montant de son indemnisation. Guy Wiener attend sans inquiétude son hypothétique nouveau déplacement. Le mouvement général de la ville concentre ainsi les zones de production : Songjiang, Nanhui, Fengcheng, Pudong et Qingpu. Seule les fermes gouvernementales (cf. Sunqiao Modern Agriculture Park) peuvent résister à ce mouvement, se transformant alors en show-room agricole.
Les types de production sont répartis selon la nature des produits. Les légumes verts et frais (salades et autres périssables) sont cultivés à proximité des agglomérations car devant être livrés rapidement. Leur haute rentabilité compense le prix supérieur de la terre. Les légumes "stockables" sont produits beaucoup plus loin des zones de consommation.
Pour Guy Wiener et plus globalement L’agriculture chinoise se trouve dans une phase charnière à plusieurs points de vue :
-les zones cultivables régressent rapidement et demeurent peu nombreuses. « 1 million de paysans chinois travaillent aujourd’hui en Afrique. Henning Mankell, l’écrivain suédois en fait même le sujet de son dernier polar (cf.). »
- le niveau de vie en Chine progresse rapidement et la demande pour une meilleure qualité de vie aussi. En conséquence, l’alimentation se modifie.
- 700 millions de chinois sont des paysans (57% de la population environ). Beaucoup sont très pauvres et produisent très peu selon des méthodes archaïques. Leur compétitivité provient de leurs coûts de production quasi nuls : pas de salaires versés, peu de chimie et peu d’achat de graine.

L’équation à résoudre pour le pouvoir central est à plusieurs variables. Comment accompagner une urbanisation nécessaire sans obérer les capacités futures du pays à se nourrir ? Comment moderniser l’agriculture sans faire exploser le taux de chômage ?

jeudi 25 juin 2009

Le Park Hotel, Lazlo Hudec et Ieoh Ming Pei

Dans les années 30, Shanghai est une des villes à la croissance urbaine la plus rapide du monde. Capitale financière asiatique et présence des concessions étrangères, l’esprit du temps est à l’ailleurs et à l’échange. C’est dans ces années que se construit l’œuvre d’un célèbre architecte de Shanghai : László Hudec.
Né en Slovaquie (alors province de l’empire austro-hongrois) en 1893, il étudie l’architecture à l’Université Royale de Budapest de 1911 à 1914. Enrôlé dans l’armée, il combat sur le front de l’est pendant la première guerre mondiale. Fait prisonnier par les russes en 1916, déporté en Sibérie, il s’échappe en sautant du train près de la frontière chinoise.
Il réussit à rejoindre Shanghai, se fait engager au American architectural office R.A. Curry puis monte sa propre firme en 1925. Il construit à Shanghai plus de 37 bâtiments jusqu’en 1941. Parmi ses réalisations les plus marquantes : le Grand Theatre de Shanghai, le bâtiment de l’American Club et "The Normandie".
Il opère en Chine une fusion des influences européennes et américaines de l’Art-Deco et du Modernisme. En 1947, il quitte la ville pour l’Europe puis les Etats-Unis et meurt en Californie en 1958.

Son chef d’œuvre est sans conteste le bâtiment du "Park Hotel".
Construit en 1934 devant le champ de course (devenu aujourd’hui la Place du Peuple) ce skyscraper Art-déco de 84m de haut pour 22 étages demeure le plus grand bâtiment d’Asie jusqu’en 1952, le plus grand de Chine jusqu’en 1966 et le plus grand de Shanghai jusqu’en 1983.

I.M. Pei, né en 1917, passe une partie de sa jeunesse à Shanghai. Alors adolescent il fréquente l’après-midi les clubs du centre-ville où la jeunesse dorée vient jouer au billard. De là, il assiste à la construction du Park Hotel et à la transformation d’une ville qui lui donne alors l’envie d’étudier l’architecture.
Quelques années plus tard il se souvient : "In Shanghai, I saw the future ».


mercredi 24 juin 2009

Huangpu le soir

Extrait d’un texte de Françoise Ged, "Une ville au pays d’eau" in "Shanghai portrait de ville", Institut Français d’Urbanisme - 2000
« Shanghai est une ville du pays d’eau. […] Territoire gagné sur la mer, composé de terrains alluviaux, le site est d’une grande fertilité et doit néanmoins en supporter les inconvénients : une nappe phréatique à fleur de sol et une densité de population qui ne laisse aucune terre inoccupée.
Tout porte ici la marque de l’homme et de l’artifice. La côte donnant sur la mer de Chine s’est allongée au cours des siècles d’une bonne vingtaine de kilomètres, et les terres en polders gagnées sur la mer ont stabilisé son tracé. Ce site d’exception bénéficie de l’immense réseau navigable composé par le Yangzi, ses affluents et d’innombrables canaux. Le site même de la ville de Shanghai, baigné par le Huangpu, a été façonné du XIIe au XVe siècle […. En effet, le curieux tracé du Huangpu, un passage à l’équerre suivi d’une ample boucle au cœur de Shanghai, est issu de la jonction de deux fleuves s’écoulant d’ouest en est vers la mer : l’un […] est appelé communément Songjiang, l’autre Dongjiang […]. A la jonction de ces deux fleuves s’ajouta le percement d’un canal jusqu’au Yangtzi. Ces grands travaux avaient pour objet de lutter contre les inondations et d’organiser une meilleure irrigation, grâce à de nombreux canaux, petits et grands, dont le tracé régulier s’est organisé en une maille quadrangulaire. »


En effet, le Huangpu tourne à 90 degrés sur notre carte. Il fallait encore aller le vérifier. Huangpu le soir, un fleuve qui tourne à plat et sans relief : ici les eaux sont lentes. C’est là que tout a commencé.
Beaucoup d’eau et de jolies grues sous le soleil du soir. Personne ne regarde l’horizon, ici on travaille dur.


Daye Highway, les lignes de tension du territoire

Retour le long de la Daye Highway, grande route parallèle à la Daye River.
Cette « rivière » est en fait un grand canal est-ouest parfaitement rectiligne coupant le territoire de Fengxian à la manière d’une grande coupe.
Cette ligne de tension du territoire nous donne l’occasion de vérifier nos intuitions : la sectorisation, la matrice rectiligne de routes et de canaux et l’omniprésence du jardinage.



Fengcheng Spanish Town

Dans le même district de Fengxian, la ville de Fengcheng se développe selon un thème inattendu.
Après les villes satellites anglaise, suédoise, hollandaise, allemande, italienne voici la ville espagnole, son faux couvent franciscain, ses moulins à vents et sa Rambla*.
Il s’agit d’une déclinaison plus modeste du concept des "One city, nine towns". Si le principe de base vise à encourager le déplacement de certains shanghaiens du centre ville vers des quartiers périphériques thématisées, il n’en est ici que peu question.
Rencontre avec les promoteurs de l’opération : ici personne n’est jamais allé en Espagne (l’inverse aurait presque été étonnant) et aucun architecte espagnol ne travaille sur l’opération. (Des recherches internet ultérieures nous apprennent que quelques collègues ibériques se sont bien usés le moral sur le projet mais ont vraisemblablement été remerciés par la suite).
L’opération est partie la dernière et très peu de choses ont été construites. Selon ses promoteurs, pas de déplacements de population mais des constructions destinées aux habitants déjà présents à Fengcheng.
Dans cette ville nouvelle pour classes moyennes, des employés de bureau somnolent dans le couvent et les constructions sont espagnoles comme le sont les ensembles immobiliers de la Costa del sol.
La rambla est pour l’instant très solitaire. Inauguré en 2007, ce parc linéaire (à l’espagnole donc) s’épuise en bosquets, kiosques et jets d’eau pour faire oublier qu’il n’est entouré que de vide.
Révérence à l’espace public ou renversement des priorités, il n’est entouré que de murs blancs. Derrière ces mur, des champs bientôt menacés.
L’ambition de ses initiateurs est d’effectuer un point de rencontre entre la tradition urbaine espagnole et la culture des villes d’eaux chinoises du delta du Yangtze.
Il est permis d’en douter.





*Rambla : n. f. (castillan rambla, à l'origine lit comblé d'une rivière, puis large avenue)

Fengxian : Urban vegetable Garden

Mise en scène et agriculture : avec le "Urban Vegetable Garden", le gouvernement chinois joue à plein cette carte inattendue.
Cette exploitation d’état de 330 ha combine un lieu de production agricole bio, une ferme de cueillette et un parc d’attraction potager. Le secteur est difficile d’accès pour qui ne dispose pas d’une voiture particulière. Un moteur plus tard, direction Haiwan Town, district de Fengxian à 50 km au Sud de Shanghai.
Seule une longue enquête nous a permis de découvrir et d’accéder à ce "jardin". Au départ, un simple autocollant sur une barquette de champignons dans un supermarché. "Urban Vegetable Garden" le nom claque et résume presque notre raison d’être ici.
"Urban" : le lieu ne l’est définitivement pas. A l’échelle chinoise, Haiwan est un village. Quelques usines chimiques, des champs et un gigantesque projet de ville nouvelle développée autour du thème du cheval. L’ensemble est dans la périphérie de cette non-urbanité.
"Vegetable" : il n’y a pas mensonge sur l’étiquette, ils sont tous présents. En guise de musée du légume : des chemins piétonniers aménagés à l’intérieur de certaines serres et des statues kitchissimes.
"Garden" : le lieu invite à la réflexion sur l’aménagement du paysage en Chine. Selon nos informations, la Chine manque déjà d’architectes et la situation est encore plus criante pour les paysagistes.




mardi 23 juin 2009

Chuanyang River 2 – bord de mer

Du Huangpu jusqu’à la mer : exploration de la deuxième partie de la Chuanyang River. A l’embouchure, la vraie mer et le Port de Sanija.
Quelques bateaux de pêches familiaux, des monceaux d’ordures, un marché aux poissons et d’improbables groupes de femmes qui, à l’ombre des arbres, séparent déchets de plastiques et petites ablettes pourries.
A son extrémité, le canal fabrique un lieu : une écluse, des chemins creux qui serpentent dans les roseaux, deux étendues d’eaux jaunes allongées et face à face. En chemin, nous avons croisé un golf de bord de mer. Les avions qui décollent de l’aéroport de Pudong tout proche passent au-dessus de nos têtes. Le village borgne et ses trois hôtels fermés ne peuvent nous détromper. Il s’agit là d’un emplacement exceptionnel.
Quand dans 15 ans, Shanghai urbanisera son bord de mer.




lundi 22 juin 2009

Espaces totalitaires

Fin d’après-midi à Pudong au point d’arrivée de l’Avenue du siècle. Quelques musées et le vide vaguement hostile d’espaces hors d’échelle. Voies de circulations inutilement larges, places sans usage, espaces verts impraticables. Ni bancs, ni ombres, ni pelouses : le piéton est puni et surveillé. Financier ou politique, c’est ici que se mesure l’oppression.



Chuanyang River 1 – le territoire sectorisé

La ville de Shanghai se situe au centre d’une plaine alluviale constituée par la lente accumulation des dépôts limoneux du fleuve Yangtze. Le territoire est irrémédiablement plat, souvent humide et désespérément boueux.

Sur plusieurs millénaires, avec une accélération évidente dans la seconde moitié du XXe siècle, le territoire a été organisé et géométrisé ; rectitude des canaux, et des digues d’abord, puis des routes, puis des autoroutes.
Le territoire est marqué par une grande homogénéité : les séquences sont souvent identiques et les mêmes archétypes paysagers succèdent aux architectures semblables. A la manière d’une partition, les alvéoles permettent presque de lire certaines des évolutions économiques ou politiques du pays : l’égalitarisme communiste des débuts de la République Populaire via les tailles égales des parcelles agricoles ou la logique centralisatrice et de grandes échelles via les successions de bâtiments identiques des années 60, 70 ou même 80. Dans ces secteurs rectangulaires les mutations sont presque autonomes les unes des autres. Le patchwork ainsi constitué organise la juxtaposition isotrope de petits hameaux paysans, d’ensemble de logements denses, d’industries vieillissantes de petite ou de grande échelle, de zone d’activités rutilantes ou de simples terrains vagues.

La Chuanyang est un canal qui relie le fleuve Huangpu à la mer en une grande ligne droite de 30 km. Longer ce ruban d’eau c’est effectuer une grande coupe et lire ce territoire sectorisé :une radiographie du territoire.
Compte tenu de la taille du parcours, la visite se fait en trois fois. Voici la partie médiane.